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Le journal d'Alexandre.

1986-1987

1 juillet 1986

Loïc. C’est par toi que j’ai terminé le carnet précédent, c’est par toi que je veux commencer celui-ci. Je l’ai choisi plus grand, ainsi j’aurai tout le loisir de m’étendre sur toi.

J’ouvre ce nouveau cahier sur une note d’espoir. Cet espoir porte ton nom, Loïc.

24 juin, fête de l’école. Le matin, sketchs et chansons se succèdent, le tout de bonne qualité. Vers 11h, non sans le trac, je fais ma remise des prix. Il semble que la plupart des parents aient apprécié cette initiative. L’après-midi, je projette mes photos sur les jeux olympiques, d’abord aux enfants en deux séances, puis à 16h aux parents. Au cours de la deuxième séance, Loïc apparaît à mes côtés ce qui me permet de lui souhaiter un bon anniversaire. « Ah ! tu y as pensé. Mes parents n’y ont même pas pensé ». Sa mère est là, ainsi que son beau-père, ils ont mon âge.

Rude journée à cause surtout de la chaleur, mais je rentre satisfait, beaucoup de parents m’ont remercié pour les photos, j’ai même eu la surprise de petits cadeaux. En passant en ville, je commande le gâteau pour Loïc.

Le lendemain, j’arrive donc avec mon gâteau et deux bouteilles de cidre. Les enfants m’attendent. Ils me font la surprise de m’offrir un livre, je suis touché.

Je souhaite l’anniversaire à Loïc, Pascal me rappelle plusieurs fois que c’est aussi l’anniversaire de Sébastien dans quelques jours, il se rend bien compte que je n’ai d’yeux que pour Loïc. Un gamin intéressant ce Pascal. J’aurai sans doute plaisir à le revoir plus tard, pour l’instant c’est vrai que Loïc l’éclipse. J’aimerais bien savoir ce qu’ils disent à mon sujet, comment ils s’amusent des attentions que je prodigue à mon Loïc adoré.

J’offre à Loïc son portrait sur lequel j’ai écrit un petit poème :

Un enfant,

Deux yeux verts,

Trois fois rien de malice.

Quatre lettres : Loïc

...

Treize ans déjà !

 

Je me souviens encore en entier de ce petit poème, sans doute le seul que j'ai jamais écrit dans ma vie. De 5 à 8 c'est sans intérêt, mais finalement je ne suis pas si mécontent de la fin :

Neuf, comme ce printemps,

Dis, me pardonneras-tu,

On se plait à le croire, ce

Doux et naïf poème ?

Pas de réaction, je n’en attendais pas, puis nous mangeons et buvons. Je leur raconte la mise en place de la ruche.

Avant de nous quitter, je propose à Loïc de venir en montagne samedi. Je n’y croyais pas, c’était une bouée jetée à l’eau avant de se noyer. Peur de le perdre.

Pourtant, il a accepté aussitôt. Et comme sa mère venait le chercher quelques minutes plus tard, rendez-vous fut pris pour le samedi matin.

Je n’en croyais pas mon bonheur.

Trois jours d’attente, trois nuits surtout où le sommeil me faisait défaut. Une nouvelle fois, je rêvais le bonheur. J’échafaudais un plan « d’attaque ». Il fallait que dès le trajet en voiture notre intimité soit établie. Alors, suivre les conseils de Sylvain : peu de mots, mais des gestes ?

Enfin, samedi arriva, j’étais en avance au rendez-vous. Il est arrivé accompagné par sa mère. Il m’a paru plus jeune, plus fragile, plus pur peut-être. Je n’ai rien osé d’autre que de poser ma main sur sa cuisse (si douce).

A la maison, Philippe (un ami que j'avais invité pour la randonnée) était en en retard. Nous sommes montés voir les abeilles.

J’avais programmé un sommet. Devant l’heure tardive du départ et ses mollets si frêles cela paraissait présomptueux.

Pourtant, il a dépassé toutes mes espérances. Passionné par les chamois, vus de si loin cependant, il entendait à tout moment siffler des marmottes, sentait partout une odeur de bouc, voulait que le moindre chocard fût un aigle. Il s’enthousiasmait au moindre trou de marmotte, admirait les fleurs. J’étais comblé. Il a su conquérir Philippe et Gérard qui l’ont trouvé formidable.

J’aurais aimé lui porter son sac. « Ca va Loïc ? - Oui, oui. »

Nous avons vu un bouquetin que je m’obstinais à prendre pour un chamois « Il a les cornes annelées, c’est un bouquetin. » D’où tenait-il cette science ?

Puis voici le sommet, le temps s’est couvert, mais le vent léger fait des trouées dans la brume, découvrant un paysage admirable. Au sommet, il fait franchement beau, les nuages n’arrivent pas jusque là. Quelques chocards nous font grâce de nous dévoiler, à quelques mètres, leur maîtrise du vol plané. Loïc exulte.

Descente folle en sac poubelle. J’installe Loïc sur mes genoux, profite un peu de l’étreinte. Dans la vallée, nous apercevons enfin des marmottes. Jumelles en main, il part à leur poursuite. Qui croirait que ce gamin là vient de monter 1200m de dénivelé.

A la vacherie, nous nous attardons à regarder les chèvres. Je suis presque obligé de l’arracher à ce spectacle.

Retour sur une banquette trop large.

Nous téléphonons chez lui pour dire qu’on le garde à souper.

Je lui montre la tenue d’apiculteur. Il l’essaye. Son visage derrière le grillage, ces grandes manches d’oiseau maladroit, cette veste qui lui arrive aux genoux, tout cela est bien excitant. Ma main remonte entre ses cuisses, sous la veste, il ne réagit pas plus que d’habitude, pourquoi me suis-je arrêté si près du but ?

Repas tranquille et agréable sur la terrasse.

Retour lent, très lent. Je vois arriver fatalement la séparation. Il me parle beaucoup pendant le trajet. Je lâche un « j’ai du mal à te ramener, je t’aurais bien gardé ». Il rit deux secondes, puis parle d’autre chose, ignorant le trouble dans lequel je suis. Ma main sur sa cuisse encore. Ce contact si doux me bloque.

Chez lui je discute un peu avec ses parents, devant une bière. J’ai du mal à partir. Et puis je lance l’idée d’une éventuelle nouvelle sortie le samedi suivant, je suggère même que pour pouvoir partir plus tôt il serait bon qu’il vienne dormir à la maison... et c’est de nouveau l’espoir.

« mais demain, demain j’attendrai Madeleine, on ira au cinéma, je lui dirai des je t’aime... » (Jacques Brel « Madeleine »)

Oui, vendredi j’irai chercher Loïc, je lui raconterai Jupiter, il sera mon Ganymède, nous dormirons dans les bras l’un de l’autre, peut-être ferons nous l’amour face à face, tendrement. Et samedi, c’est en amants que nous nous promènerons. Je serai son éraste, il sera mon païdes.

 

Lundi 7 juillet

« ... il pleut sur mes lilas » (Ibid)

Certes, Loïc est venu vendredi soir, apporté par sa mère. Un peu abîmé par le coiffeur, mais cette nouvelle coiffure semble lui plaire, alors je m’y fais vite.

Nous faisons des grillades. Philippe arrive. Trop tôt cette fois-ci ! Repas sur la terrasse. Je montre à Loïc les anneaux de Saturne. Puis, il souhaite se coucher et descend à la chambre avec deux Tintins sous le bras. Philippe est déjà en bas. Je laisse descendre Loïc et c’est l’effondrement.

Bien sûr, j’avais préparé la chambre avec soin, passé la serpillière, fait le lit, mais tout cela avec le fol espoir que ce serait inutile. C’était dans mes bras que tu devais dormir ce soir là Loïc, et je n’ai pas eu le temps de te le faire comprendre.

Jamais je ne m’étais senti aussi seul dans mes draps. Jamais la mort n’avait rodé d’aussi près. Pourtant cela n’était pas de ta faute Loïc, non c’est bien sur moi que je pleurais, sur mon incapacité à me faire aimer. Le bonheur m’avait paru si palpable, si proche pour une fois et c’était à nouveau le retour au vide, l’anéantissement.

Comment vivre désormais ? Même la perspective de la journée du lendemain ne suffisait plus à me donner un peu d’espoir. J’allais juste pouvoir profiter de toi une dernière fois, faire bonne figure, le soir je te ramènerai sagement chez toi puis je chercherai quelque ravin profond dans lequel me précipiter. Disparaître, sans laisser de trace, s’évaporer.

Dehors, Jupiter me narguait. Je n’ai pas dormi une seconde cette nuit là.

A six heures, je t’ai réveillé Loïc, et déjà ta vision mettait un peu de baume sur mes plaies. La journée s’annonçait belle. Elle le fut. Aussi merveilleuse que la semaine passée. Tu retrouvais ton enthousiasme sur le plateau où paissaient des moutons. Au sommet, comment l’oublier, tu as baisser ton short quelques secondes pour nous montrer ton maillot de bain, rouge. Et je ne sais quel démon t’a poussé à en écarter l’élastique. Je fus seul sans doute à remarquer ce geste, même toi peut-être ne t’en ais pas rendu compte. Un bref instant, j’ai pu apercevoir ton petit sexe d’ange blotti dans son tabernacle rouge. Si je n’étais pas incroyant, je me serais demandé si c’était le démon tentateur qui t’avait commandé ce geste ou au contraire ton ange protecteur qui voulait me faire comprendre que malgré tes treize ans, tu n’étais encore qu’un enfant impubère.

Nous avons eu la chance d’apercevoir d’assez près quelques chamois. Tu en as compté 21 tout au long de cette journée.

Au retour, ma nuit d’insomnie se faisait sentir. Je garde la sensation de tes cheveux si doux contre mon bras. Contact si léger, presque imperceptible, qu’il faut être fou pour s’en bâtir un bonheur. Miette de pain pour un coeur affamé.

Le soir, tu voulais rentrer chez toi pour aller au feu de la St Jean. J’avais de nouveau le vague et fol espoir de te garder la nuit. Quels sont ces imbéciles qui font un feu de la St Jean un 5 juillet, comme si les jeunes garçons n’avaient pas d’autre chose à faire ! ...

J’ai pu sans effort te garder pour souper, nous avons regardé les fourmis, arrosé le jardin. Nous sommes montés à la ruche, intimité retrouvée. N’as tu pas senti mon trouble, lorsque nous étions tous les deux accroupis à surveiller le va et viens sur la planche d’envol. Ma main, dernière chance, transformée en fourmi est montée à l’assaut de ton corps. Tu n’as pas protesté, tu as simplement marqué un léger étonnement, tu n’étais pas mûr pour l’amour, Loïc. Trop fleur encore, et c’est là mon drame je ne suis pas sûr de pouvoir t’aimer encore quand tu seras mûr.

Je n’ai plus rien tenté au retour, j’ai simplement posé deux ou trois fois ma main sur ta cuisse, derniers contacts avant de te perdre.

Te perdre ? Tu n’as pas quitté mon esprit une seule minute ce dimanche. Ce matin au réveil tu étais là dans ma tête. Tu y es toujours, bien sûr.

 

Mardi 8 juillet

Demain nous partons en montagne. Sans Loïc, et je n’ai rien d’autre à dire.

 

Mardi 15 juillet

Après quelques jours orageux, le mistral est venu balayer le ciel. Saturne brille dans le scorpion, Mars au sud-est. Je n’ai pas sommeil et c’est à Loïc que je pense. Comme j’aimerais lui montrer les étoiles, juste pour le plaisir de lui parler, de l’avoir près de moi. Comme cela paraît simple, pourquoi n’est-ce pas possible ?

En ce moment, tout me ramène à lui. Déjà la semaine dernière, il accompagnait ma pensée en montagne. A chaque marmotte aperçue, à chaque chamois ou bouquetin, ma première pensée était « Loïc aurait été heureux ». Et comme j’aurais été heureux de sa joie quand nous avons pu admirer les chamois jouer dans le névé, se jeter dans la neige sur les genoux ou sur le flanc, faire des cabrioles et remonter aussitôt pour recommencer. Oui, Loïc, tu aurais aimé voir ça, comme tu aurais aimé voir de si près ce chamois surpris dans la descente à quelques mètres et qui après un réflexe de fuite est resté là à nous observer à une dizaine de mètres, seulement. Et moi, c’est toi que j’aurais regardé.

 

25 juillet 1986

« Il me considéra avec commisération : « Seriez-vous de ce vain peuple qui ignore tout des délices enfantines ? La morale judéo-chrétienne vous aurait-elle à ce point marqué que vous ayez peur de l’amour charnel ? »

Frédéric Tristan « Les égarés »

Sans commentaire !

 

30 juillet 1986

« Nous devenons vite égoïstes lorsque l’accumulation des misères chez les autres risque de nous rendre solidaire de leur destin. Nous acceptons de compatir, mais nous refusons de participer. Chacun est seul face à sa souffrance parce que nous ne pourrions pas supporter celle des autres. Voilà ce que je pensais alors. Et pourtant j’avais écrit « Le roi des singes » ou Souen prend sur ses épaules le malheur de sa tribu. Mais comme il y a loin du héros à l’écrivain ! C’est parce qu’il est lâche qu’il construit des chevaliers, parce qu’il a peur des femmes qu’il invente des Don Juan »

Idem

 

4 août 1986

« L’analyse psychologique a perdu pour moi tout intérêt du jour où je me suis avisé que l’homme éprouve ce qu’il imagine éprouver. De là à penser qu’il s’imagine ce qu’il éprouve... Je le vois bien avec mon amour : entre aimer Laura et m’imaginer que je l’aime - entre imaginer que je l’aime moins, et l’aimer moins, quel dieu verrait la différence ? Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l’imaginaire. Et, s’il suffit d’imaginer qu’on aime pour aimer, ainsi suffit-il de se dire qu’on imagine aimer, quand on aime, pour aussitôt aimer un peu moins, et même pour se détacher un peu de ce qu’on aime - ou pour en détacher quelques cristaux. Mais pour ce dire cela ne faut-il pas déjà aimer un peu moins ? »

Gide « Les faux monnayeurs »

Je replonge avec délices dans ce que je considère comme le meilleur des romans. Cette impression qu’il n’y a pas une phrase de trop...

A emporter sur l’île déserte.

 « Il a ses parents, un frère aimé, des camarades... Je me redis celà le long du jour, et que je n’ai que faire ici. De tout ce qui lui manquerait, je saurais lui tenir lieu sans doute ; mais rien ne lui manque. Il n’a besoin de rien ; et si sa gentillesse m’enchante, rien en elle ne me permet de me méprendre... »

Idem

 

13 août 1986

Cette nuit, j’ai fait des photos du ciel. Des poses de la Polaire, puis de la Grande Ourse et Cassiopée, avec en tête l’idée de les utiliser à l’école pour une séance sur l’astronomie. C’était aussi la nuit du maximum des Perséides et j’espérais en saisir quelques-unes.

La nuit était très claire, bien dégagée par un mistral qui avait soufflé toute la journée, mais qui avait cessé à la tombée de la nuit. J’ai pris un grand plaisir à faire ces photos. L’impression de renouer un peu avec le ciel que j’ai abandonné quelque peu ces dernières années. Pendant les poses, j’avais tout le loisir d’admirer.

Une seule ombre au tableau, celle de ne pouvoir partager sa joie. Bien sûr, la pensée de Loïc m’a accompagné souvent, et j’imagine le bonheur que j’aurais eu à lui parler des étoiles et de tout le peu de choses que je sais là dessus. Bien sûr aussi, l’idée de me retrouver allongé dans l’herbe avec sa tête sur mon bras, afin de mieux pouvoir lui désigner les objets célestes, a dû aussi m’effleurer, mais sans amertume.

Je me faisais un peu une joie de pouvoir en parler avec Gérard ce matin au petit déjeuner, mais je n’ai senti aucune réponse à mon enthousiasme (que je n’ai sans doute pas su montrer)... il avait pris un journal.

Incommunicabilité.

 

29 avril 1987 - 3h ½

 

Retour du Sénégal avant hier ! Changement total de vie. Séjour réussi, puisque j’en attendais surtout un réveil, une sortie de la léthargie dans laquelle je me sentais depuis quelque temps.

Tant de choses à en dire...

Mais l’essentiel n’est-il pas justement ce que l’on ne peut dire. Qui comprendrait le bonheur d’admirer la main de Mustapha dans le plat de riz. Quels mots pour le dire ? Peindre d’abord l’ambiance. Cette pièce nue aux murs de terre, au sol cimenté, juste une table près de la fenêtre ou Mustapha le soir fait ses devoirs à la bougie. Au centre de la pièce, éclairé par la lampe tempête, le « niankatan » est posé dans sa grande cuvette à même le sol. Tout autour 8 adultes, 3 bébés et Mustapha 12 ans. Je suis assis dans un fauteuil pliant ainsi que Mamadou le grand-frère. Sans doute a-t-il le fauteuil pour « m’accompagner » pour que je sois plus à l’aise. A mes côtés, mon ami et Ousmane sont assis sur un tabouret qu’ils ont couché pour être plus bas. A la gauche d’Ousmane, Mustapha accroupi sur une jambe. Puis les femmes, également accroupies ou peut-être assises sur un tabouret bas. Tout le monde est près, la mère peut enlever le couvercle et nous découvrons le riz avec 4 ou 5 poissons au centre du plat. Bien sûr, j’ai une cuillère ainsi que 2 ou 3 des hommes. Une des femmes commence à décortiquer un poisson, d’une seule main, et à en jeter les morceaux à la périphérie. Dans un silence quasi total, nous commençons à manger. Je mange des yeux la main de Mustapha, les doigts légèrement repliés, il creuse une poignée de riz, la ramène sur le bord de la bassine où elle commence à se tasser en remontant sur le bord, puis il la tasse complètement dans sa main pour en faire une boule et la porter à sa bouche. Beauté de cette main, du geste. Gravité presque cérémonielle de Mustapha. Bien sûr, les autres mangent exactement de la même façon et avec le même sérieux, mais c’est la main de Mustapha que je vois, que je revois...

Mustapha chiche en sourire, deux ou trois par jours seulement, mais sourires si généreux. Mustapha qui ne répond pas aux questions ou bien d’un simple mot, ses yeux noirs, son sourire, je l’ai surnommé « The black little Prince » avec l’envie de dire « My... »

 

26 mai 1987

Il y a dix jours, nous avons passé une journée avec Loïc. Il m’avait téléphoné quelques jours avant les vacances de Paques. Je ne l’avais pas revu ni eu au téléphone depuis le deuxième week-end en juillet. Cette fois-ci, je me suis bien gardé de faire trop de projets. Oh bien sûr, je me suis fait un peu de cinéma, mais en restant conscient qu’il s’agissait de fiction.

Au téléphone, je lui ai proposé de venir le samedi soir ou le dimanche matin. Au choix. Il a préféré le dimanche pour pouvoir travailler le soir. Peut-être était-ce préférable !

Je suis donc allé le chercher dimanche matin vers 7h. Je redoutais un peu, un trop grand changement... Non ; il n’a pas changé. Sans doute a-t-il grandi un peu puisque ses chaussures ne lui allaient plus, mais ce n’est pas perceptible. Toujours aussi beau.

Il faisait mauvais, légère pluie. Seul avec Gérard, nous ne serions sans doute pas partis, mais j’avais mon soleil, j’étais bien. Nous avons fait le col A. Il montait comme un chamois. Dès le départ, nous avons vu quelques marmottes et des chamois dévaler la pente. La pluie ne nous gênait pas, elle s’est même faite complice en se changeant en neige avec l’altitude : source d ‘émerveillement ; redécouverte par des yeux jeunes de phénomènes courants.

Au cours de la progression, la neige s’est faite plus dense, il y en avait maintenant un doigt (de Loïc). Les derniers mètres devenaient même dangereux, surtout pour lui qui était mal chaussé. Nous avons quand même atteint le col où le vent était glacial. Après une tentative de construction d’un refuge, nous avons pris le sage parti de redescendre nous mettre à l’abri.

Pendant que nous mangions, Loïc commençait à avoir froid. Bonheur de lui mettre le bonnet. Son nez coulait un peu sur mes mains et c’était un plaisir. Je n’ai pas osé réchauffer ses mains dans les miennes.

Nous sommes rentrés très tôt, et restés un moment près du feu. Puis nous avons joué tous les deux sur l’ordinateur. Joie d’être avec lui. Caresses volées, mais non rejetées. Bien timides, il est vrai. Sylvain me moquerait. Mais au présent cela me suffit, ce n’est qu’après que je regrette de n’avoir pas été plus entreprenant. D’ailleurs, cette fois-ci, je ne regrette rien. Si, peut-être, de ne pas savoir ce qui trotte dans sa tête. Mais ça, c’est son jardin secret...

Merci Loïc d’être toi. Je t’aime. Je te désire aussi. Je t’aime assez pour ne pas te posséder. Je te désire trop pour ne pas tenter de te le faire comprendre. Ce n’est plus moi qui te caresse, ce sont mes mains, ce sont mes yeux.

 

2 juin 1987

J’aurais voulu noter plus tôt ce souvenir du Sénégal. Pouvoir mémoriser intactes les impressions, les sentiments. Je n’ai pas trouvé l’inspiration pour le faire.

Donc, ce jour là, j’étais au village de mon ami. Nous y sommes allés le samedi avec Alfred pour qui c’était aussi une découverte. L’après-midi du samedi s’est résumé en visites aux parents. Nous sommes accueillis par un oncle de Mamadou dans lequel je reconnais l’humour de son père. Il parle très bien le français ce qui facilite les rapports. La grand mère maternelle est épatante. Une vieille femme dynamique, souriante. L’on se sent très bien dans la pénombre de sa maison. Elle nous offre des fruits.

Sur la place, près de la maison où je demeure, un énorme baobab de 12 m  de circonférence et, suspendu à une branche, un essaim non moins impressionnant. Je l’estime d’un mètre de long sur 50 à 60 cm de large. En dessous, quelques abeilles mortes se laissent observer : elles sont petites, l’abdomen à peine plus long que le thorax et plutôt jaunes. Le lendemain, je découvre une autre colonie sur le même arbre, mais moins conséquente.

Dimanche matin, visite au jardin du village avec ses puits profonds de plus de dix mètres. Les femmes arrosent.

Le soir, nous allons au « meeting musulman » (je ne trouve pas d’autres mots). Il y a bien quelques chants, mais surtout des discours dont je ne comprends pas un mot. Je m’intéresse donc surtout à l’atmosphère. Un peu à l’écart des enfants s’amusent, riant trop fort parfois ils se font rappeler à l’ordre. Vers minuit, constatant qu’Alfred n’est pas passionné par ce qui se dit, je décide de rentrer en proposant à Mamadou de rester, mais il rentre avec nous. Omar nous accompagne aussi, il retournera à la fête par la suite pour y rester jusqu’à l’aube.

Le lundi matin, nous devions repartir pour Ziguinchor. Encore faut-il que passe un minibus ou un taxi-brousse. Au moindre bruit de moteur, Mamadou et Alfred courent sur la route pour voir passer à toute vitesse une voiture ou un bus complet qui les dédaignent.

Je suis installé à l’ombre d’un arbre sur cette sorte d’estrade faite de quelques planches que l’on retrouve partout sur le bord des routes. Nous bavardons en grignotant ces fruits sans noms : graines noires en grappes, légèrement duvetées, à l’intérieur desquelles un petit fruit, avec un gros noyau lisse, se laisse manger. C’est plus un passe temps qu’un régal.

Un jeune cousin d’une quinzaine d’années (peut-être plus) est là avec nous. Il discute en riant avec Mamadou. Je ne sais pas de quoi ils parlent, mais sa gaieté est agréable. Tout en se parlant, ils se tiennent la main ou bien se chamaillent, mais le contact physique fait partie de la conversation. Je me sens un peu seul physiquement, j’ai besoin de contact, aussi.

Or justement, un nouveau garçon fait son apparition. Une douzaine d’années, pas très beau, les yeux collés comme au matin, il vient s’asseoir avec nous, prend part un peu à la discussion d’une voix grave pour son âge. Une sorte de charme se dégage de lui.

Il va et vient. Passe une heure à gratter consciencieusement une vieille boite de nescafé sur une pierre. Passe en vélo. Il semble ne pas m’avoir vu, m’ignore totalement et je suis irrésistiblement attiré par lui.

Vers midi, lorsque nous déménageons pour aller « m’installer » sur une natte à l’ombre, il croise mon regard et dans un sourire mouillé je l’entends bredouiller quelques chose comme « el amore ».

L’on me sert un plat de riz venu je ne sais d’où, puis l’on m’offre un coussin.

J’arrive à attirer l’attention de quelques garçons d’une dizaine d’années. Jeux de mains, dessins dans le sable, rires, émotion remarquée. Omar, c’est lui (encore un Omar) qui voletait toujours autour de nous, finit par se poser. J’avais dessiné la France, il dessine l’Afrique avec les noms importants, comme sur la carte scolaire. Mamadou qui s’inquiète de l’avance du soleil sur ma natte me force à déménager de quelques mètres et la belle carte d’Omar se trouve détruite ; je m’indigne pour la forme et arrive à faire installer mon compagnon à côté de moi sur la natte. Comme il s’allonge, je lui glisse le coussin sous la tête et en profite pour glisser également quelque timide caresse. Il accepte le tout en souriant et je me retrouve lui caressant la joue, lui chatouillant l’oreille, glissant ma main dans ses cheveux, crépus, mais si doux malgré les apparences. Les autres ont disparus de ma mémoire, je suis seul avec Omar qui s’endort au contact de mes caresses ! Riez, Sylvain, moquez vous ! Je suis bien. Je veille sur son sommeil, chassant maintenant les mouches qui voudraient profiter de l’occasion.

Et soudain, un moteur, un bus, il faut partir en hâte sans oublier les poules entravées qui font partie du voyage. Et c’est ainsi Omar que je t’ai abandonné sans même pouvoir déposer sur ton front ce baiser brûlant, mais frais, que j’aurais voulu. Adieu donc cher enfant, page courte, oh combien, mais si riche de ma vie.

 

20 juillet 1987

« Tous les enfants sont inspirés, ils ne peuvent rien envier aux poètes qui sont bonnement des enfants. »

Sartre « Les mots »

« Tous les enfants sont des poètes. »

Jacques Brel « Fils de ... »

Ils m’inspirent bien plus que les poètes.

 

29 juillet 1987

En lisant les « ravages causés par l’école » dans « La solitude de l’enfant » de John Killinger, je retrouve ce souvenir qui y aurait sa place.

Je suis en 4e. Dans une des classes qui donnaient vers l’arrière du bâtiment, juste séparé du terre-plein par un étroit couloir où nous étions si tranquilles pendant les récréations.

J’avais fait le pari avec un camarade que j’arriverais à m’asseoir sur le radiateur pendant le cours de math. Depuis l’année précédente, j’étais le meilleur de la classe dans cette matière et ce camarade, pendant les études, profitait de mon « savoir » : Je lui faisais parvenir, aussitôt fini, mon devoir qu’il savait recopier rapidement en ayant soin d’introduire un certain nombre d’erreurs ou de modifications propres à ne pas éveiller les soupçons du correcteur.

Nimbus était notre professeur. Dès le début du cours, je captais son attention en montrant un intérêt démesuré pour ce qu’il nous expliquait. Comme les autres élèves sommeillaient discrètement dans leurs coins, je n’eus pas de mal à devenir l’interlocuteur privilégié. Tout en posant des questions pertinentes ou bien en faisant des remarques qui montraient bien que je comprenais et m’intéressais fort au problème exposé, je commençais à m’agiter, à m’asseoir sur une jambe repliée sur le banc, puis sur le bureau. Il était important que Nimbus ait bien le temps de voir ma progression. Je savais fort bien que s’il lui arrivait de s’étonner de mes positions fantaisistes il se garderait bien de me les reprocher. Il n’allait pas perdre son seul spectateur attentif. Ce fut donc un jeu d’enfant ( !) de m’asseoir sur le radiateur et il ne semblait pas que cela ait étonné ni le maître ni les autres élèves.

 

19 août 1987

Je relis « L’enfant au masculin » de Duvert, acheté il y a environ un an. A la première lecture, ce livre m’avait un peu déçu, il y était trop question d’homosexualité et pas assez de pédérastie ou pédophilie.

Il me satisfait plus aujourd’hui. J’y trouve une foule d’arguments de poids.

Hier au soir, je lisais le chapitre intitulé « pas les enfants ». J’ai été surpris (ou plutôt, j’ai vu avec plaisir) qu’il rejoignait souvent (sans s’en douter ?) Françoise Dolto. (« La cause des enfants » que j’ai lu récemment). Par exemple cette phrase : « Lorsque l’enfant paraît - le « votre » ? - il n’a pas choisi d’être à vous : c’est vous qui avez décidé d’être à lui,... ».

A rapprocher aussi de cet excellent texte noté plus haut « Vos enfants, ne sont pas vos enfants... » (Kahlil Gibran)

 

20 août 1987

Une journée qui me réconcilierait avec la vie ! Je la dois sans doute à Duvert dont j’ai achevé le livre ce matin même.

Vers 10h, alors que je me sentais envahir par le vide habituel, je venais juste d’achever un peu de ménage... l’idée subite me vient de revenir à la piscine (j’y étais allé une seule fois déjà cet été). Espoir de voir quelque beau garçon, pourquoi pas faire une rencontre ? Espoir tant de fois soulevé, tant de fois abattu. J’allais partir en vélo, puis j’ai pensé qu’au cas où... la voiture serait plus propice. Bien m’en a pris.

Donc vers 11h j’arrive à la piscine, gonflé à bloc ( ? - Peut-être pas plus que d’habitude, mais il fallait bien que la chance tourne ! Non, je crois quand même que c’est grâce à Duvert et bien sûr à Sylvain. Il faudra que je lui écrive).

Le premier beau visage que je vois était en train de plonger. Regards croisés. Plongeon un peu démonstratif, qui cherche son public. Je plonge aussi (dommage qu’il n’y ait pas de planche au plongeoir, j’aurais pu sortir le grand jeu - Tiens voilà que je joue les dindons, le coup de l’éventail !)

Deuxième plongeon de sa part avec regard au « public » avant et après. Je synchronise nos prouesses. Il est là, debout sur le socle de béton, s’apprêtant à un nouvel exploit, pour moi.

« Dommage qu’il n’y ait pas de planche, ce serait plus amusant. »

C’est moi qui ai parlé. Quelle banalité ! Et dire que c’est si simple.

Je passe les détails. Il a l’air satisfait d’avoir un compagnon de jeu. Sous-l’eau au travers de la piscine. On s’assoit sur le bord. Deux beaux yeux gris verts, des yeux de chats quand il ferme à demi les paupières (j’ai jamais vu de chats avec des yeux comme ça, mais peu importe)...

A un moment, il dit « C’est amusant le mur au milieu de la piscine, quand on porte quelqu’un. »   En effet, le bassin est divisé en deux par une pente raide. Je sais déjà que je vais tout faire pour qu’il soit sur mes épaules dans quelques minutes. Je pense même à Tifauge du « Roi des Aulnes ». Enfantin ! quelques minutes à peine, je me baisse dans l’eau, il est là sur mes épaules, son sexe s’écrase un peu contre mon cou, c’était plus que je ne pouvais espérer.

Un peu plus tard, nous décidons de prendre un peu le soleil. Il me conseille les marches en ciment, un peu à l’écart.

Horreur ! Il me parle de cousines qui risquent d’arriver en début d’après-midi. J’apprends qu’il a un sandwich pour midi. Il me parle d’un endroit où il va dans la rivière. Il aime bien s’y baigner nu.

Mon plan s’élabore de lui même. Il faut aller vite, éviter les cousines.

Encore un bain pour se rafraîchir, puis je lui propose (il vient juste de dire qu’il commençait à avoir faim) de venir manger son casse-croûte à la maison et d’aller ensuite à la rivière, à l’endroit dont il me parlait, la fameuse cascade. Il accepte, il devra simplement téléphoner à sa mère.

Et nous voilà partis. A la maison, sa curiosité m’amuse, j’ai un peu de panique , comment vais-je m’y prendre. Je jette deux assiettes sur la table, prépare rapidement une petite salade de tomate, il mord déjà dans son sandwich. Il ne semble pas avoir très faim finalement, un peu de pâté, quelques tomates...

Il n’habite pas ici, il y passe seulement les vacances avec sa mère, il vit en région parisienne, dommage. Il rentre en 4e.

- 4e, tu dois avoir 13 ans alors ?

- 14. J’ai redoublé le CE2.

Son nom : Nicolas.

Questions sur l’ordinateur, le disque laser...

- Tu aimes le classique ? J’ai que ça.

- Oui, j’aime bien.

 Pas très enthousiaste, mais c’est mieux qu’un non. Je lance la Stravaganza. Pendant que je fais le café (il n’en boit pas) il a trouvé le cube magique. Il est dans le fauteuil, je m’assois sur le pouf, face à lui. Ses jambes écartées laissent entrevoir ses charmes. J’ose un premier contact sur le genoux, pas de réaction.

Puis il se lève, je le suis, lui propose de lui montrer mes logiciels. Carte de France, il se débrouille bien. Moi aussi du reste ; j’ai déjà une main sur sa cuisse (je pense à Sylvain, Duvert ... des gestes, pas de paroles). Le contact est établi, il n’y a toujours pas de réaction, mais du moins il ne peut plus douter de mes intentions. Pourtant, il est impassible, semble s’intéresser au jeu (de l’ordinateur).

- Qu’est-ce que tu as comme autre jeux ?

 Ce tutoiement coule en moi comme un élixir. Je lance « la Ville » en me promettant de conclure avant la dernière. Je le caresse un peu plus, l’autre main dans le cou. A la troisième ville, je risque quelques baisers sur son bras, bien timides, mais tout de même il ne peut pas ne pas les sentir.

A un moment, il croise ses jambes. Est-ce pour repousser ma main ? Non, d’ailleurs elle trouve vite une autre position. Est-ce pour cacher un début de trouble ? Même pas. Je panique un peu. Pourtant 14 ans...

Et puis soudain, je trouve l’idée : le trésor ! Cinquième ville, il commence à chercher le trésor, je me rapproche du sien. Et quand le trésor apparaît sur l’écran, je dis : « Moi aussi, j’en ai trouvé un ! » tout en franchissant le dernier pas. Génial, non ? Et bien non ; il sourit, se lève en disant « On va à la cascade ? »

Je ne sais plus que faire, je m’entends dire

 - Tu me le montres ton trésor ?

- Pourquoi ?

 Quelle question.

- Parce que. Tu me plais. Tu ne veux pas ?

- Non

- Tant pis. Comme tu veux. Ca ne fait rien.

 

Je lâche tout. Je ne suis pas un violeur. Je reste serein. Je me lève « Allez, on y va ». Je ferme la maison, un peu étonné de ne pas m’effondrer. Est-ce la perspective de passer encore l’après-midi à ses côtés ? Sans doute. Je sens quand même qu’au retour, une fois seul, ce ne sera pas très gai. Je repousse cette idée lugubre.

A la voiture, il me demande

- Qu’est-ce que tu voulais faire ?

- Rien de spécial. T’embrasser, te caresser, l’amour quoi.

- Ca consiste en quoi ?

Décidément, il m’étonne. Mais son intérêt me plait.

- Je t’expliquerai.

Et nous voila partis. J’essaye de m’expliquer, ce n’est pas facile. Je lui demande s’il a déjà fait l’amour avec une fille.

- Non.

- Tu te touches pas de temps en temps ?

- Si, ça m’arrive.

- Et avec des copains ?

Je n’entends pas sa réponse. Mais il me redemande ce que je voulais faire. Je le lui dis, puis que ça ne fait rien s’il ne veut pas.

- Ca m’est égal.

Alors là, je suis estomaqué. Je lance plus ou moins ironiquement « Tu veux qu’on y retourne ? »

- On peut monter par là.

Et c’était vrai, j’arrivais juste au chemin du village. Un coup de volant. Aléa jacta est. J’ai presque plaisir à traverser le village avec ma conquête, mais il n’y a personne. Je laisse la voiture dehors.

Je le sens un peu tendu, je ne me sens pas tout à fait à l’aise. Lucide pourtant, je ferme les volets, la porte, j’ouvre le lit.

- Ce n’est pas la peine de le défaire.

Il ôte sa chemise, je l’arrête, je l’aide. Je continue seul à déplier les pétales. Tant de fois j’ai rêvé à ce moment là ! Mais c’est l’été, un short à dégrafer, un maillot de bain à faire glisser, cela ne prend pas des heures. Il est toujours un peu raide, lui, pas son sexe qui repose sagement devant mes yeux. Un léger duvet autour du pubis.

-Viens.

On s’allonge maladroitement en travers du lit. Un baiser sur la joue. Un doigt sur ses lèvres « Je peux t’embrasser là ? ». C’est presque un premier baiser, Mohammed à Tanger ne m’avait pas trop laissé m’éterniser. Ses lèvres d’abord fermées, passives, s’entrouvrent soudain, je sens sa langue qui se faufile, s’écrase sur la mienne. Merveilleuse petite boule humide. Son sexe enfin réagit, magnifique petite érection, le prépuce glisse facilement sous mes doigts...

Je l’entends me demander si je suce. « Non, rien de sale » dis-je bêtement pour le rassurer.

Un peu plus tard, je crois l’entendre dire qu’il a déjà eu ça, puis qu’il avait bien aimé. Décidément, Sylvain a raison, je suis le plus parfait des naïfs. J’aurais juré que c’était de l’appréhension quand il posait la question et voilà que c’était un souhait.

Je n’en avais pas envie Nicolas, mais tes désirs sont des ordres, forts agréables du reste.

Mes lèvres quittent les siennes qui pourtant se débrouillaient fort bien. Descente le long du corps. (S’appliquer à le faire plus lentement la prochaine fois). Et me voilà mordillant ce merveilleux joujou, mes mains s’affairent partout : je suis débutant certes, mais je connais quand même quelques jardins secrets. Il me délaisse un peu, mais bah ! Quelle importance ? C’est lui qui m’intéresse. Je veux être l’instrument de son plaisir, pas du mien.

Je sens son corps vibrer, un nectar envahit ma bouche (et dire que j’étais sûr que c’était mauvais) je n’en laisse pas une goutte.

Je remonte vers son visage, son cou, retrouve ses lèvres. Il ne débande pas. Je me frotte à nouveau contre ce corps si doux, ce ventre si tendu. Il me demande si je veux qu’il me suce, je ne réponds pas. Il s’occupe enfin de moi, sa main d’abord, puis ses lèvres que je laisse faire. Heureusement, car je commençais à craindre quelque défaillance, mais il s’y prend bien pour un novice. Mes mains en profitent pour d’ultimes découvertes, il est toujours raide, mais ce n’est plus de lui que je parle maintenant...

Je ne sais plus trop à quel moment il m’a dit avoir eu une expérience à 8 ans avec un « monsieur ». C’est une cousine qui avait déjà découvert le « monsieur » (dommage que j’ai oublié le terme qu’il a employé), qui le lui a présenté.

A la station service, il me demande si j’ai un peu d’argent pour acheter une revue.

- Tu y vas ?

- Mais non, on y va ensemble, je ne sais pas ce que tu veux (il m’avait bien donné un titre, mais je ne connaissais pas).

Je prends Télérama, lui demande de demander ce qu’il veut, à la patronne.

-Vous avez Panthère ?

-Une panthère en peluche ?

Moi : « Pas une vraie. C’est une revue. »

Elle ne connaissait pas. Heureusement, car dehors il m’apprend que c’est une revue porno. « Tu lis des trucs pornos toi ? » Je m’étonne, mais je ne vais quand même pas le lui reprocher. Tout de même les temps ont changé, surtout qu’il me dit que sa mère est au courant et qu’elle ne dit rien.

Amusant aussi, il m’a dit quelque chose comme « Tu prends des risques, tu pourrais tomber sur quelqu’un qui te dénonce à la police ». Et moi, magnanime « C’est les risques du métier ».

Nous avons fini l’après-midi ensemble à remonter la rivière jusqu’à la cascade. Deux amis, deux complices innocents.

En ville, je lui ai payé un verre pour prolonger jusqu’au dernier moment. Nous n’avons rien dit. Je lui ai quand même demandé s’il retournait à la piscine demain.

- Je ne sais pas. Tu y vas toi ?

- Peut-être, j’essayerai.

C’est sur, j’y serai demain.

 

21 août 1987

Dès 10h, je suis parti pour la piscine, interrompant la lettre à Sylvain.

Personne. Jusqu’à 11h j’ai espéré, puis j’ai décidé d’attendre midi, en vain. Rien de plus ennuyeux qu’une piscine si l’on ne peut s’amuser avec un garçon ou bien plonger. Pas de plongeoir, pas de Nicolas. Je m’étais dit... mais à quoi bon.

Aventure sans lendemain. Je le savais bien, hier. Surtout ne pas se décourager.

C’est à Loïc que je pense ce soir. Loïc dont je n’ai guère parlé depuis longtemps, mais à qui je pense souvent, très souvent. Je ne suis plus jamais allé en montagne sans penser à lui, sans regretter sa présence.

Et ce soir, je ne peux m’empêcher de penser qu’il a quatorze ans lui aussi, des yeux verts et en plus une conversation intéressante. Puisse Nicolas me servir de tremplin pour t’atteindre, mon Loïc. Je ne puis oublier que tu « m’opposais » la même passivité que Nicolas face à mes caresses. Bien sûr elles étaient plus timides, moins pressantes, mais je n’arrive pas à croire que tu en ignorais le sens. Loïc, je te le jure je ne laisserai plus passer d’occasion, mais de grâce aide-moi.

 

22 août 1987

Aujourd’hui, avec Gérard, nous avons fait un sommet. Le temps était moins beau que nous aurions pu l’espérer, mais suffisamment tout de même.

J’ai fait l’ascension avec deux garçons de 14 ans dans ma tête : Nicolas pour le souvenir, Loïc pour l’espoir.

Etonnante cette aptitude de l’esprit à gamberger. Promenade d’un rêveur solitaire. Ainsi, pendant une bonne partie du trajet j’ai rêvé l’impossible avec Nicolas. Demain, un coup de téléphone. Allô, Alexandre ? C’est Nicolas, j’ai envie de faire l’amour - Où es-tu ? J’arrive. Nous nous enfermions dans ma chambre. Do not disturb ! Et là tout ce que j’avais omis de faire devenait réalité. Je découvrais son corps de A à Z le léchant depuis derrière les oreilles jusqu’entre les doigts de pieds, glissant mes lèvres et le nez entre ces poils si fin, si soyeux. Nous nous aimions sans relâche, riants de notre bonheur. Puis vers une heure avancée de l’après-midi nous nous découvrions une faim à vider le réfrigérateur.

Près du sommet, quelques chamois en famille faisaient la sieste.

Une famille est arrivée par la crête ouest avec un garçon de 11 ans Christophe, ses parents et grand-parents sans doute. Nous leur avons conseillé de passer par la crête est qui dans notre souvenir était moins difficile. Ils nous ont suivi de loin, j’avais un peu de remord de ne pas les attendre. Quelques passages sont très impressionnants, mais sans réelles difficultés grâce aux nombreuses prises. Nous avons bu un café, en les attendant. Le brouillard masquait le sommet ne le laissant apercevoir qu’à de vagues et brefs instants. Et chaque fois nous étions étonnés de les voir encore si loin.

Si je note tout ça, c’est surtout pour amener ce dernier souvenir. Christophe et son père nous avaient déjà rejoint quand la grand-mère a fait une petite chute. Comme le père disait « Il vaut mieux que ce soit là que tout à l’heure », Christophe : « Oh oui alors », puis suivit pour lui seul un mime avec bruitages dans lequel j’ai nettement vu la grand-mère dévaler côté abrupt, pour la plus grande joie de son petit-fils.

 Suite :

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