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Le journal d'Alexandre.

1988-1989-1993-1994

7 mars 1988

 La différence entre un roman et la vie, c’est que dans un roman on connaît les pensées de chacun. Ainsi, dans un roman l’on serait sûr de ce qu’attendait Christophe cet après-midi. Le lecteur, du moins, en serait sûr et il s’apitoierait sur mon sort, je veux dire celui de mon personnage, comme les enfants au cinéma il lui soufflerait : vas-y, n’aie pas peur, fonce.

Voici les faits. Christophe après le cours devait m’apportait un document, j’avais tout rangé dans le local en l’attendant, sans oublier de fermer les volets, afin de préparer au mieux l’intimité. Il faut que le lecteur sache cela, mais il ne faut pas qu’il croit pour autant que j’avais des idées bien précises. Non, tout simplement l’espoir depuis toujours, en vain, entretenu.

Et voilà Christophe qui arrive avec l’enveloppe, il ne semble pas pressé de repartir. Nous échangeons quelques banalités, je m’assieds sur la table près de la porte. Comment se retrouve-t-il dans mes bras ? Il faut bien qu’il en ait eu envie, lui aussi. Je l’embrasse sur la joue à deux doigts des lèvres, puis je le lâche. Une gène s’installe. Nous n’avons rien à nous dire, seul les gestes pourraient parler, se comprendre. Encore une fois ils m’ont trahi. Christophe est condamné à prendre congé, je le sais, je le sens, mais c’est trop tard.

Voilà l’événement vu par moi. Que serait-il vu par Christophe ?

« Il me fallait ramener l’enveloppe à Alexandre, j’ai fermé mon cartable et l’ai abandonné devant la porte de la classe, puis j’ai traversé la cours en courant. Alexandre était seul, il avait déjà tout rangé et fermé les volets. Il a pris l’enveloppe, l’a regardé en disant quelque chose, puis assis sur la table il m’a tendu les bras. Je me suis blotti contre lui, enfin seuls. Il m’a embrassé sur la joue en me serrant très fort, puis sans savoir pourquoi il m’a lâché, je ne savais pas quoi dire. Alors, j’ai dit - Allez, je dois partir, au revoir - et j’ai filé tellement vite qu’en sortant j’ai failli me cogner dans Laurent »

 

24 juin

C’est l’anniversaire de Loïc. Ce cahier que j’aurais voulu lui consacrer n’est qu’à moitié rempli et presque entièrement vide de lui.

Pourtant je ne l’ai pas oublié. Je ne crois pas avoir fait une randonnée en montagne sans qu’il soit là, dans ma tête. Hier, c’était la fête de l’école et il était là. C’est la fin de mon espoir de voir nos vies converger. J’avais préparé longuement un joli paquet cadeau avec un pot de miel pour ses quinze ans. Je pensais le confier à sa soeur et espérais que cela me vaudrait un coup de téléphone. Il a été étonné que j’ai pensé à son anniversaire. Il semblait content. Je m’apprêtais au bonheur de sa présence et puis le trou, il n’avait rien à me dire, semblait plutôt gêné de ma présence.

Ses quinze ans n’ont pas altéré sa beauté. J’avais envie de pleurer. J’ai envie de pleurer.

Mon seul réconfort, l’arrivée de Patrice samedi prochain. Un garçon de dix ans que je ne connais pas. Je n’ai même pas vu sa photo et je l’aime déjà. Un fils pour l’été. Un mois de vacances ensemble, lui et moi. Le bonheur ou l’effondrement ? Vais-je savoir l’Aimer (avec un grand A) ? Pourvu qu’il ne soit pas trop beau. J’ai peur de le désirer. Je veux l’aimer comme un fils.

 

4 juillet - 2h40

Samedi matin je suis arrivé bien trop tôt au rendez-vous pour prendre en charge Patrice. Alors que j’attendais, esseulé, entouré de familles, deux mains douces se posent sur mes yeux... Christophe. Il vient, accompagné de sa mère et de deux cousines, accueillir également un enfant. Nous discutons beaucoup, sa mère me propose de faire une sortie ensemble pendant le mois de juillet. Je n’ai toujours pas le dossier de Patrice et m’inquiète un peu. Par jeu, je dis à Christophe que si je n’ai pas d’enfant, je le garde avec moi. Je lui dis « je te vole ». Un peu plus tard, je l’entend faire un jeu de mots sur « tu me voles, tu me violes ». Cela dit simplement, sur un ton de plaisanterie, les cousines n’en sont même pas étonnées, la mère n’était pas là à ce moment, mais je crois bien qu’il aurait pu le dire pareillement devant elle.

Enfin, vers 13h les cars arrivent. Moment d’inquiétude quand tous les enfants sont réunis pour la photo. Je ne sais pas encore lequel est Patrice. Deux ou trois me paraissent trop grands. La mère de Christophe m’en montre un avec une casquette blanche, je lui dis qu’il est trop jeune. J’espère un peu pour un autre avec une écharpe grise. Moment de panique quand je le vois embrasser sa famille d’accueil. Puis j’entends mon nom, quelqu’un me présente l’enfant à la casquette blanche. On lui donne 8 ans à peine, il semble timide...

Dans la voiture, j’ai du mal à ouvrir la conversation. J’entends à peine ses réponses.

 

L’après-midi, nous allons avec Patrice à l’aéroport pour prendre les billets. Nous allons ensuite nous promener, et par hasard nous croisons Loïc avec un ami. Pendant que nous discutons, Patrice reste à l’écart si bien que je ne peux même pas le présenter, il semble s’ennuyer. Je suis partagé entre le plaisir de voir Loïc et le désir de m’occuper de Patrice. Je suis tenté d’écourter la discussion.

Nous restons un moment assis. J’observe mon enfant qui ferme les yeux pour mieux profiter du Soleil et du vent.

A la maison, nous faisons deux parties d’échec, puis un peu de ping-pong. Patrice se détend, il commence à parler beaucoup. Au repas, il demande « Il n’y a que ça ? » Nous sommes un peu éberlués, il y avait une grande poêle d’haricots verts avec poivron rouges et tomates, et un morceau de saucisse certes un peu court pour trois, mais tout de même ! Gérard lui donne le plus gros morceau de saucisse, il mange lentement, écarte les poivrons... réclame du poulet et des frites... !!

 

Aujourd’hui, la journée a été riche. Ce matin le temps est menaçant. Après déjeuner, nous allons au village, évitons de justesse l’orage. J’achète un gros poulet. De retour à la maison nous sommes condamnés à rester à l’intérieur. L’ordinateur me sauve un peu. Patrice se débrouille très bien sur le programme « France » que je pensais trop dur pour lui. Il connaît toutes les villes du premier niveau. Je le laisse pour aller faire la cuisine.

Au bout d’un moment, je l’entends demander « Quand est-ce qu’on mange ? C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?».

Le repas se passe très bien à part un « Si le riz était bon, ce serait très bien » qui me fait mal même si c’est vrai que le riz n’est pas très cuit. Je m’inquiète aussi de voir qu’il ne nous aide pas à débarrasser la table, alors que hier il l’avait fait spontanément.

L’après-midi, nous montons sur la colline par le chemin, car il est mal chaussé et de plus il est si petit. Mais bien vite je découvre qu’il marche vite et bien, il s’écarte du chemin voulant monter plus vite, mais nous rejoint. Gérard est fatigué et peine un peu, Patrice est devant. Sur le rocher, je le prends par la main pour lui montrer le danger. Il semble heureux, parle de plus en plus. Nous voyons beaucoup d’abeilles, il me conseille de monter mes ruches. Il nous bouscule un peu pour redescendre, mais ça va. Il est vivant et a tellement de chose à faire à la maison qu’il faut se dépêcher : l’ordinateur, la lunette, le ping-pong...

Pendant le retour il nous saoule de paroles, nous raconte coup sur coup deux longues histoires un peu compliquées, mais « Comme ça, ce n’est pas très bien, mais bien raconté c’était très beau ». Je découvre un Patrice rêveur, poète.

De retour, nous buvons un coup puis nous reposons un peu. Le beau temps est entièrement revenu. Pendant que je commence à cuisiner, Patrice s’installe de lui même devant l’ordinateur, l’allume tout seul correctement. Nous avions en fin d’après-midi fait une longue partie de ping-pong, puis vers 19h je l’avais laissé avec Gérard pour commencer à décortiquer le poulet.

Je venais à peine de finir la vaisselle du midi, le plat était dans le four, quand j’entends : « Alors, c’est prêt ? ». C’était trop, je ne peux pas te laisser prendre de mauvaise habitudes, mon Patrice. Je vais dans le couloir, lui demande : « Qu’est-ce que tu dis ? - Alors, c’est prêt ? - Non, mais dis-donc ! Je ne veux pas que tu me parles comme ça. Tu n’est pas à l’hôtel. Tiens, met la table.»

Sa réaction est bonne, je l’aide à éteindre l’ordinateur. Il commence à mettre la table en me regardant quand même du coin de l’oeil, mais très gentiment : « Il n’y a que ça ? »

Un grand plat de riz, bien cuit cette fois avec plein de poulet dedans et du curry. Et en plus des raviolis qu’il boude. Il réclame du jambon, une tranche, deux tranches.

A un moment, j’ai du mal à retenir une forte émotion qui me monte aux larmes. Je ne sais plus ce qu’il m’avait dit, c’est d’ailleurs sans importance, c’était sur la nourriture, mais c’est de nos rapports que je parle. Il a sans doute senti mon trouble et avec un merveilleux sourire illuminant tout son visage, rieur, il dit « J’ai bien le droit de plaisanter »

Au moment du café, je lui fait une infusion avec beaucoup de miel pour calmer sa gorge. Il semble désolé de ne pas pouvoir la finir, dit « J’en ai assez », mais en boit encore un peu, puis : « J’attends que ça refroidisse et je bois tout »... « La tasse est grande ». C’est moi qui achève l’infusion, regrettant juste pour sa gorge.

Gérard a allumé la télévision. Patrice est sur mes genoux. Puis, assis sur le pouf entre mes jambes qu’il caresse. Nous sortons voir les étoiles. Je lui montre Saturne, quelques doubles, il est intéressé. Nous avions au préalable été « discuter » avec les grenouilles. La soirée fini bien. Je lui dis « Tu vas te laver les dents ?», il le fait sans rechigner, m’embrasse d’abord, comme s’il voulait que je le laisse. Mais je le regarde faire, amusé par ses gestes, puis le raccompagne à sa chambre, l’embrasse à nouveau. Tout va bien.

 

12 juillet - 0h20

Insomnie. Un enfant dans la tête. Trop de bonheur, trop de projets. Demain la montagne, la semaine prochaine, peut-être, une nuit à la belle étoile avec Christophe, sa mère et leur enfant (L'enfant qu'ils accueillent).

Retour du Nord. Une semaine à la fois longue et courte. Longue, un peu par manque d’activité, pourtant nous sommes sortis tous les jours, mais des promenades trop courtes à mon gré et je crois aussi pour Patrice. M-Françoise serait désolée si elle savait que je me suis un peu ennuyé, elle qui n’a pas eu une minute pour souffler et qui a tout fait pour nous combler. Nos modes de vie sont différents, voilà tout, et avec l’âge il n’est pas facile de s’adapter. Je crois quand même que Patrice a passé une bonne semaine, même s’il ne s’est pas trop bien entendu avec Baptiste, il a trouvé en Céline, 3 ans, un joyeux compagnon de jeu. Et si nos sorties ont été courtes elles n’en furent pas moins bien remplies.

Quant à moi, grâce à Patrice, j’ai vécu une semaine heureuse. Les mots se bousculent dans ma tête, je voudrais pouvoir tout coucher sur le papier, mais je sens bien que je n’y arriverai pas ; je sais bien que ce que je vais écrire sera légèrement transformé et ne reflètera qu’imparfaitement la réalité.

Les C sont habitués à se lever vers 9h. Patrice, comme moi du reste, a l’habitude de se lever vers 7h ou même avant. Le premier matin il est descendu et a dû se trouver un peu désemparé d’être seul, car Aurélie qui couchait dans le salon me l’a amené. J’étais moi même déjà descendu, mais m’étais recouché car j’avais mal au crâne et me sentais barbouillé, côté estomac. Ils sont donc venus tous les deux s’asseoir sur mon lit et nous avons discuté. Bonheur de le sentir si près.

 

Le lendemain matin, comme je traînais au lit en attendant que la famille soit levée, il m’a fait la surprise de venir me rejoindre. Il s’est d’abord assis sur le lit. Son corps par moment comprimait le mien, je n’ai pu retenir une érection malgré toutes mes bonnes intentions. Quand Patrice est rentré dans le lit, j’étais partagé entre une grande joie et une forte appréhension. Qu’allait-il se passer ? Est-ce que je saurai retenir mon corps et ses immenses désirs de contacts. Par moment, à l’occasion d’un mouvement, je sentais sa cuisse sur mon sexe ou bien, comment l’oublier, son talon qui remontant en glissant sur ma cuisse me soulève délicatement les bourses en passant. Lui, tout occupé à son récit, ne fait heureusement pas attention à ces « détails » là. Heureusement ou malheureusement ? Car c’est là toute l’ambiguïté de la situation : je suis partagé entre la crainte de compromettre nos liens père-fils qui sont en train de se créer et le désir de rapports plus intimes. Mon esprit souhaite rester platonique, mon corps brûle de contacts plus étroits. Je navigue entre deux eaux, ou mieux, je marche sur une crête étroite m’efforçant d’y rester, mais le chemin est bien petit et je suis à deux pas de chuter... dans les délices d’Eros.

Je suis (presque ?) soulagé quand il me dit « On se lève ?» et que je m’entends lui répondre « Vas-y, je te rejoins » car, il est bien sûr hors de question de me montrer dans l’état où je suis.

Le lendemain matin, j’espérais sa venue, je la craignais aussi. Mais, soyons honnête, je l’espérais plus que je ne la craignais. Et quand la poignée de la porte a tourné sur elle même, je bandais déjà, malgré moi. Quelques secondes et il est déjà dans mes draps me faisant cadeau de contacts charmants, même s’ils me semblent volés. Et puis soudain la tension monte ! Il me caressait les bras, s’intéressant beaucoup à mes biceps qui même s’ils ne concurrencent pas les Rambo, Sylvester Stallone ou Schwarzenegger quelconques qui peuplent sa conversation (tout à fait inintéressante d’un point de vue strictement intellectuel, mais à la quelle je fait semblant de m’intéresser, non point par duplicité, mais parce qu’elle est le fait d’un garçon de dix ans qui lui m’intéresse au plus haut point) intéressent beaucoup les garçons de cet âge. Et je suis bien obligé d’admettre que je ne fais rien pour éviter qu’ils me les palpent, m’efforçant bien au contraire à les faire saillir de mon mieux pour retenir leur intérêt.

Il était donc en train de s’émerveiller avec force caresses sur mes pauvres biceps, quand tout à coup (coup au coeur) je l’entends parler d’abdominaux et je sens avec effroi et délectation sa main se diriger vers les miens en écartant le drap. J’aurais pu l’arrêter dans son geste, je l’aurais dû sans doute ! Son geste qui est allé trop loin et qui a découvert mon gland décalotté. Sous l’effet de surprise, il a stoppé net la phrase en cours et le geste, gêné sans aucun doute. Tout en retirant le drap (je veux dire en le tirant à nouveau) j’ai balbutié un stupide « Attention », mais il parlait déjà d’autre chose et nous avons superbement ignoré l’incident tous les deux.

Que ce serait-il passé si au lieu de soulever le drap sa main s’était glissé dessous, si au lieu du regard nous avions eu droit au toucher, voilà ce que je me plais à imaginer. Car il reste cela, le rêve !

 

19 juillet - 9h

Patrice regarde la télé. Au début, cela m’énervait un peu quand je le voyais allumer le poste vers 8h ½, puis finalement je suis obligé de reconnaître que cela me permet d’être libre un moment et de vaquer aux occupations habituelles.

Je n’ai pas eu le temps, l’autre soir de noter le bonheur immense que j’ai expérimenté pendant le voyage de retour.

D’abord dans le train, assis côte à côte, les sourires des gens qui s’adressent aussi bien à moi qu’à Patrice, mais qui lui sont dus. Sensation nouvelle, mélange de fierté (pourtant sans raison), de responsabilité, bonheur de savoir que je suis son point d’attache, je suis à lui.

A Paris, il pleuvait encore et nous nous sommes contentés de traverser la rue pour nous engouffrer dans un snack, manger un steak-frites, pour lui. Caresses des regards qui nous enveloppent tous les deux en un seul volume.

Dans le métro, moment de frayeur quand à la station « Quai de la râpée » je me suis levé avant le départ de la rame, pour me rapprocher de la sortie. Au moment où je pose la valise par terre, Patrice sort, et la porte se ferme. J’ai crié « ne descend pas » tout en bloquant la porte qui heureusement n’a pas résisté.

Plaisir de reprendre l’avion. Seule note discordante à notre voyage : Gérard s’est trompé d’heure et nous avons dû prendre un taxi pour monter au village.

 

Dès le lendemain, nous avons fait un sommet. Il marche bien, parle beaucoup, me donne la main spontanément au retour. Le soir, nous regardons les étoiles, il s’y intéresse beaucoup, retiens facilement les noms que je lui propose, apprend vite le maniement de la lunette (sans jamais s’en servir comme d’une mitraillette). Du coup, je prévoie la nuit à la belle étoile, et c’est pour ce soir.

Les deux ou trois premiers soirs, il se couche dans sa chambre sans grande difficulté en disant à chaque fois qu’il n’est pas très rassuré. Aussi je lui promets qu’on trouvera une autre formule. Le troisième soir, je crois, tout en observant le ciel, il se retrouve dans mes bras pour de bien tendres câlins. Quand il me répète qu’il n’est pas très rassuré en bas, je lui propose de venir dormir avec moi, ce qu’il accepte avec joie.

Je n’ai guère dormi cette première nuit, attentif aux contacts, attentif à ne pas les laisser prendre trop d’ampleur. Pourtant, en milieu de nuit, il se retrouve en travers, ses cuisses sur les miennes puis bientôt une sur mon ventre et l’autre en haut des cuisses, un grand frisson de bonheur parcours mon corps.

Je voulais trouver une autre solution pour ne pas m’exposer à une trop grande tentation, mais la facilité aidant, nous avons pris l’habitude de dormir ensemble. Hier matin, je n’ai pas quitté le lit espérant qu’il dormirait un peu plus longtemps. J’espérais aussi, malgré moi, quelques contacts plus intimes. Et bien sûr j’ai craqué : une caresse sur son dos nu « Tu dors ? » - « Non », ma main qui s’arrête sur ses fesses, lui qui ne réagit pas. Mes contacts qui se font plus pressants et puis ma main qui écarte son slip pendant que je lui demande bêtement « Quel effet ça te fait ? ». Et lui, dans un grand calme « Ca me fait l’effet d’avoir une demi-culotte », alors moi « Eh bien, tu ne vas plus en avoir du tout » et je joins le geste à la parole caressant tendrement ses mappemondes. Puis, je le retourne sur moi, il se laisse faire toujours sans réaction, une petite érection m’aurait bien encouragé, j’aurais bien aimé aussi qu’il s’intéresse un peu à mon corps, mais non, il me pose des questions sur le poste de radio qu’il vient d’apercevoir, sur le nombre de ferrures du meuble, leur prix... pendant que j’éjacule le long de sa cuisse. Je suis un peu désemparé, honteux même, mais lui continue à ignorer ce qui se passe, il semble l’accepter comme on accepte une caresse, une simple caresse. Tout en m’essuyant et sa cuisse aussi, avec le drap, je l’envoie à la douche ce qu’il fait sans commentaire.

Nous nous retrouvons ensuite comme si rien ne s’était passé. Nous allons à la piscine vers midi. Il ne semble pas trop s’amuser, bains de soleil (qui me vaudront un bon coup de soleil) pendant lesquels il s’intéresse à nouveau à mon corps, aux gouttes d’eau que retiennent les poils, il me fait à nouveau des caresses qui me rassurent car elles prouvent qu’il n’a pas été perturbé le moins du monde par ce qui s’est passé le matin.

Nous nous amusons ensuite comme des fous dans le grand bassin où il monte sur mes épaules pour plonger ; après quoi, je dois le repêcher car il ne remonte pas tout seul, mais il sort tout riant. Longues séances sous la douche, dont la température est idéale, pendant lesquelles j’aperçois plusieurs zizis d’enfants qui viennent pisser. Si je note cela, c’est que je sais bien que ça m’aurait fortement troublé sans la présence de Patrice, sans les rapports fraternels que nous sommes en train de nouer.

En ville, alors que nous regagnons la voiture, deux chiens mâles s’accouplent. « Tu as vu ? Qu’est-ce qu’ils font ?  - Oui, ils font l’amour - Ils s’assouplent ... - Non ! Ils s’accouplent - Ils s’accouplent, puis après ils auront un petit chien » !

 

1 août 1988

Cet après-midi, j’étais en train de faucher l’herbe, à la débroussailleuse, en haut du terrain, quand tout à coup j’aperçois un garçon qui me regarde. Je pense d’abord à Nicolas, mais c’était si peu probable que j’ai bêtement pensé à un jeune du chantier d’à côté qui voulait quelque chose, alors d’un air interrogatif je dis :

- Oui ?

- Vous ne me reconnaissez pas ?

- Nicolas ?

Il a grandi. De beaux yeux clairs entre le vert et le bleu.

Nous descendons, je suis troublé par sa présence. Nous échangeons quelques banalités, je lui montre les abeilles. Sa respiration cache un certain trouble, je m’enhardi, lui prends la main, lui caresse la cuisse en faisant un compliment sur son bronzage.

Nous nous retrouvons dans la chambre où il se laisse déshabiller. Nous nous embrassons, tout est allé si vite que je ne suis même pas en érection. Il embrasse fort bien, malgré cela j’ai bêtement peur qu’il s’ennuie et je quitte ses lèvres pour descendre le long de son corps. Je me sens maladroit. Je me retourne en espérant que nous puissions nous synchroniser. Il se contente de me masturber, nous allons trop vite, ce n’est pas brillant. Nous passons tous les deux sous la douche, j’ai inondé son épaule.

Nous buvons un coup dans les fauteuils et c’est là qu’il me parle de mobylette, de location, qu’il n’a pas assez pour la caution, il lui faudrait 3000 francs. « Tu pourrais me les passer ? »

Je réalise alors pourquoi il est venu. Je lui dit que s’il s’agit seulement d’une caution je peux lui faire un chèque. « Ca ne m’arrange pas »

C’est du liquide qu’il veut ! Je lui demande si c’est pour ça qu’il est venu et lui dit que ce n’est pas très agréable, pour moi. « C’est pas seulement pour ça »

Nos yeux s’observent, mais c’est qu’il est beau, le salaud ! Je lui répète ma proposition du chèque en précisant qu’en liquide je ne peux pas. Alors il dit que ça ne fait rien, qu’il va partir. Je lui propose de le raccompagner en ville, il était venu en stop. Il accepte, mais veux s’arrêter chez des amis. Dans la voiture, il me dit :

- Je ne te force pas.

- Comment ça ? Bien sûr !

- Je pourrais...

- Tu veux me faire chanter, c’est ça ?

- Non, pas moi, mais on pourrait.

- Qui ça, on ? Je n’ai pas fait l’amour depuis l’année dernière, avec toi !

 

J’essaye de lui faire comprendre qu’il est sur la mauvaise pente, que c’est grave ce qu’il fait. Curieusement, je suis assez intéressé par la situation. Un peu plus tard, il me dit :

- Ca coûte cher.

- Quoi donc ? Détournement de mineur, c’est ça ?

- Oui.

- Tu as vraiment l’impression que je t’ai détourné ?

- Pas cette année.

- Tu crois que je t’ai violé l’année dernière ?

- Non.

- Il te faut faire vite, il ne te reste que trois jours, le détournement de mineur c’est avant quinze ans (il m’avait dit que c’était son anniversaire dans quelques jours).

 

Au croisement, je m’arrête, il ouvre la porte mais ne descend pas. Il me regarde. Je soutiens son regard, admirant ses yeux. Au fond, j’aimerais bien lui faire un cadeau, mais c’est trop tard, j’aurais l’impression de payer. J’essaye de le lui expliquer.

Je pense à la drogue, je lui demande si le coup de la mobylette c’était vrai. « Bien sûr ». Je lui répète fermement qu’un chèque caution je peux, mais qu’autrement ce n’est pas possible. Alors, il abandonne, me dit qu’il sera à la piscine les jours suivants.

Je ne sais pas si j’aurai envie de le revoir. Je me sens bien seul et bien triste, et je n’ai pas sommeil. Putain de vie !

 

1 septembre 1988

Rencontré l’autre jour, un père et son enfant, unis, se tenant l’un par l ‘épaule l’autre autour de la taille, complicité heureuse. Cette vision m’a subitement remis en mémoire une image ancienne : Toulouse en 65 ou 66, près d’un petit aéroport, un garçon de treize ou quinze ans jouait avec son père, ils faisaient tourner un petit avion tenu juste par un fil. Leur bonheur simple m’avait fait prendre conscience que je n’avais jamais connu de moments pareils. J’étais jaloux du fils. Je me disais, il a de la chance d’avoir un père jeune qui joue avec lui. Aujourd’hui, ou plutôt l’autre jour devant ce couple enlacé, j’ai réalisé que c’était du père que j’étais jaloux. Preuve du temps qui passe.

J’ai repris la lecture de « Un fils pour l’automne ». Je me régale déjà dès les premiers chapitres, alors que l’enfant n’a pas encore paru, mais cette description de Marc est merveilleuse.

 

7 novembre 1988

« Ma souffrance était viscérale. Il s’agit d’une sensation de deuil qui entraîne de véritables douleurs physiques dans la poitrine, autour du coeur. On se réveille le matin, il fait beau, on s’étire au sortir d’un long sommeil, on sourit béatement à la lumière du soleil et l’on se rappelle tout d’un coup que quelque chose est mort en soi - tout devient gris, tout reste gris »

Howard Butten

« Le coeur sous le rouleau compresseur »

 

1989

17 septembre 1989

Sur la plage cet après-midi, alors que je revenais à la brasse vers la côte, je regardais sur la jetée de pierre quelques gamins qui jouaient ou pêchaient. Parmi eux, assis sur les cailloux et tournés vers moi, deux petits pêcheurs garçon et fille. Chacun tenait sa canne d’une main et lui, de l’autre, de temps en temps, s’agitait la verge à travers son maillot. Il semblait faire ça machinalement, en pensant à autre chose et la fillette ne semblait pas intéressée non plus, mais ce qui m’a surpris c’est que son érection était imposante, le maillot de bain tendu à craquer. J’ai fait quelques brasses en arrière pour vérifier que mes yeux ne m’avaient pas trompé, mais non. Il bandait effrontément, entretenait son état de quelques coups de main, sans s’occuper ni de moi, ni de sa compagne, ni de personne. J’ai bien failli ne plus pouvoir sortir de l’eau étant moi même dans un état surexcité. Il a même, à un moment, lâché sa canne pour mettre ses deux mains dans sa culotte.

Quelques minutes plus tard, ils sont passés tous les deux devant moi, toujours riants ; son pénis avait repris des proportions tout à fait modestes, mais le maillot semblait encore distendu ; il avait à peine cinq ans.

 

29 septembre 1989

Il me faut bien consacrer une page à David. David à qui je dois une semaine de bonheur.

Un village de vacances cet été au mois d’août. Patrice est rentré chez lui, je suis seul. C’est sans doute le dimanche après-midi qu’il m’a adopté. J’avais joué un moment avec les enfants qui étaient là, plongeons, bombes, etc.

En s’essuyant, il m’a demandé où j’avais ma serviette. C’était une invitation et je suis allé la chercher pour m’installer à ses côtés. « Tiens, c’est la même que mon père ». Content que ça lui fasse plaisir. Nous discutons, il me parle un peu de son père. Si je comprends bien, il vit d’habitude avec lui, mais il est en vacances avec sa mère et le compagnon de cette dernière.

Le soir au restaurant, il demande à ses parents l’autorisation de venir manger avec moi. Bien sûr sa mère vient me demander si cela ne me dérange pas. « Pensez-vous ! »

Le lendemain matin, alors que je déjeune, deux mains fraîches me cachent les yeux - David ? - Je peux déjeuner avec toi ? Et c’est ainsi que jour après jour nous avons passé la semaine ensemble ou presque.

Nous avons fait une sortie en montagne, il s’était assuré que j’y allais avant de s’inscrire et c’est parce que je savais qu’il y allait que je l’ai faite.

Comme la plupart des garçons de cet âge, il s’intéressait beaucoup à mes biceps, il voulait que je les montre à tous ses copains.

« Qu’est-ce que tu fais pour avoir des biceps comme ça ?

- Rien, je cultive un peu le jardin.

- Houa ! Je vais m’y mettre. »

Un jour où j’étais assis devant la table de ping-pong, il est venu s’asseoir sur mes genoux, face à moi. C’est bien la première fois qu’un garçon de onze ans et demi s’assoit sur mes genoux sans provoquer une érection. Je ne sais pas pourquoi, peut-être le contexte, beaucoup de vacanciers autour qui connaissaient notre affinité, mais comme chante Brassens « Ca ne se commande pas ».

Il est même venu dans ma chambre m’aider à faire la flutte de pan pour la soirée du vendredi soir et j’ai su rester serein.

Et je suis bien plus heureux de cette semaine avec David que des deux après-midi avec Nicolas.

Malgré sa promesse de m’écrire, je n’ai rien reçu. Adieu donc, David, je t’aimais bien tu sais.

 

11 novembre 1993

Je peux te protéger des autres, mais qui te protègera de moi ?

 

14 janvier 1994

Kévin, je prends le risque d’écrire sur toi. Je ne sais pas si tu liras un jour ces lignes, je les écris pour toi tout aussi bien que pour moi. C’est la première fois que cela m’arrive. Si pour Loïc j’employais déjà le « tu » c’était par fol espoir, il n’en a jamais rien su, il n’en saura jamais rien.

Je te promet d’être sincère dans ces lignes, même si je sais que ce n’est pas si simple. J’aimerais pouvoir tout dire, nous raconter de A à Z. J’essaierai.

 

Ce soir, j’ai une insomnie, je me tourne et me retourne dans mon lit, je pense à beaucoup de choses. Peu à peu, mon esprit arrive jusqu’à toi. Je revois mon départ de chez toi, une grande joie empli mon coeur, tu m’as comblé... mais n’allons pas trop vite, revenons en arrière :

J’ai quitté la station ce matin vers dix heures, le camion recouvert de 20 cm de neige, prudemment sur les routes enneigées. Bien avant de partir j’avais décidé de passer te voir, je pensais manger sur la route puis te rejoindre en début d’après-midi (je me souvenais que tu ne travaillais pas le vendredi après-midi).

Vers midi, j’arrivais déjà à S où de toute façon je voulais m’arrêter, ne sachant trop si j’allais y manger avant de te rejoindre ou bien y acheter une pizza pour venir la partager avec ta famille. Une cabine téléphonique près d’un camion à pizza a aidé mon choix.

Mon arrivée dans ton village ressemble à un roman, le premier véhicule que je vois est un car de ramassage scolaire dans lequel je t’aperçois. Tes frères et soeurs me font un bon accueil, puis ta mère arrive fatiguée, un peu nerveuse à cause du refus de cet appartement aux H.L.M.

Nous n’avons guère le temps de parler tous les deux, sauf un peu dans ta chambre où tu me montres tes trésors.

Puis nous nous retrouvons au salon, tous les trois, pour le café. Je parle avec ta mère, j’ai peur que tu t’ennuie de nos bavardages d’adultes. Tu es assis près de moi, je peux discrètement te caresser la joue, promener mes doigts dans tes cheveux.

Enfin, c’est l’heure du départ, tu m’accompagnes jusqu’au camion. Nous échangeons quelques banalités qui cachent à peine notre émotion. Je t’embrasse sur la joue, mais très adroitement ce sont tes lèvres que tu m’offres. Baiser furtif, bien sûr, nous sommes dans la rue et d’ailleurs tu ne peux t’empêcher de jeter rapidement un regard en arrière pour voir s’il est bien passé inaperçu, mais baiser oh combien symbolique. Je ne suis pas près de l’oublier. Merci Kévin.

Suite :

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