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Le journal d'Alexandre.

1982

6 mars 1982

« Nous sommes beaucoup plus malheureux dans le malheur qu’heureux dans le bonheur »

Armance Anacro

 

18 juillet

« Parfois, lorsque le soleil tombe, il ne me manque qu’un peu de tendresse. Mais ce sentiment lui-même est une ivresse. Alors... »

Yves Navarre « Niagarak »

13 août 1982

Je lis le « Journal d’un innocent » de Tony Duvert que m’avait « recommandé » Sylvain. Sous ses aspects pornos, le livre va plus loin. C’est une peinture forte de la vie de Marrakech et surtout de ses garçons.

J’y comprends ce qui fait mon malheur. Ce que je recherche auprès des garçons c’est avant tout de la tendresse. Bien sûr, cela ne m’empêche pas de rêver de caresses, j’ai aussi envie de les mordre partout, mais à la manière de Gide je ne conçois l’amour que face à face. Le sexe a besoin des yeux, des mains, des lèvres.

Or, il est bien évident que ce que recherche les garçons chez les hommes, c’est uniquement (ou presque) le plaisir. Plaisir des sens, mais aussi de la découverte. L’apprentissage du sexe qu’on leur refuse en général. (Je ne suis plus d'accord avec cette phrase, les jeunes garçons aussi aiment la tendresse, les câlins, les attentions qu'on leur porte)

Et c’est par le sexe que Duvert arrive à obtenir ce que j’espère en vain. Ces instants de pure tendresse comme par exemple celui de savonner le garçon nu sous la douche ou simplement pouvoir le contempler à un moment aussi simple que celui où il fait la cuisine.

Ma naïveté est sans doute de penser qu’ils sont aussi innocents que je pouvais l’être à leur âge. (D’ailleurs, l’étais-je autant que je le pense. C’est plutôt le cocon de mon éducation « chrétienne » qui me « protégeait ». Mais que vienne un adulte qui s’intéresse à mon corps et cela d’une façon naturelle, anti-hypocrite, et le cocon du péché aurait sans doute éclaté, me libérant définitivement.)

Mais est-ce trop tard ?

Mon tort est aussi celui de ne pas prendre de risque. Ainsi, je laisse passer des chances. Il ne faut pas avoir peur de se jeter à l’eau et tant pis pour les plats. Seuls ceux qui ont osé sortir de l’ombre taboue arrivent à s’assumer pleinement.

Deux exemples de mon manque d’initiative, d’audace : La semaine dernière je me rends chez P (un collègue) à huit heures du soir. Il dîne avec A (un autre collègue) et ils savent que j’ai déjà mangé, donc m’attendent mais sans aucune possibilité d’impatience. Or sur le chemin, j’aperçois dans une rue transversale un garçon à l’allure svelte. Il est trop loin pour juger mieux. Bref instant indescriptible. Nos regards se croisent, mais il est déjà avalé par les maisons de la rue qui reprend. Je n’ai eu le temps de penser à rien. Simple regard qui  provoque un réflexe du genre « tiens, un garçon » puis me voilà arrêté devant la vitrine du photographe contemplant la photo du mois, qui pour une fois mérite un arrêt. Soudain, je sens une présence. Il est là à côté, regardant vaguement la vitrine. Or, justement, la vitrine est grande, mais là où je suis il n’y a qu’une photo. Et c’est là qu’il est aussi. (Mais tout cela est trop réfléchi pour m’avoir alerté sur le coup). Son arrêt est très court, il reprend le chemin dans le même sens que moi. Je le suis, de trop loin comme toujours. Deuxième arrêt, il relace une chaussure qui sans doute n’en avait guère besoin. Le temps est suffisant pour me permettre de le rejoindre, mais malgré moi mes pas raccourcissent, je ralentis, il repart. Deuxième occasion loupée et ce n’est que quand il rentre chez lui me jetant un rapide regard que je comprends soudain que le hasard seul ne suffit pas à offrir deux occasions coup sur coup. Aussitôt mon esprit s’affole ; demain je le retrouverai, un sourire, un mot inutile, bonjour, comment t’appelles-tu ?, je peux t’offrir un verre ?... et je rejoins les amis « le coeur en déroute et la bite sous le bras » (Jacques Brel )

Je n’ai jamais autant parcouru cette rue que depuis ce soir là, mais si seules les montagnes ne se rencontrent pas, les bonnes occasions, elles, ne se rencontre jamais deux fois.

Deuxième exemple, celui du petit marchand de journaux qui s’est installé pour le mois d’août devant une boutique fermée. Il est là presque tous les matins. Quand le feu est rouge, j’ai tout le loisir de l’observer. Ce n’est pas le coup de foudre, mais chaque fois il me semble plus gracieux que la veille, plus charmant que je ne l’avais supposé. Tout ce que j’ai osé, c’est ralentir quand le feu est vert pour lui laisser le temps de mûrir. Ce matin, j’ai osé un « ça marche les affaires ?   - Ca marcherait mieux, si vous m’achetiez La Dépêche ». Bon esprit de répartie, puis : « Où c’est que vous allez comme ça ?  - Je vais travailler (le feu passe au vert, déjà !), c’est pour ça que je t’achète pas La Dépêche ; j’aurais pas le temps de la lire. Allez, bonne journée ». Et me voilà reparti, « pédalant »  joyeusement.

Sortir de l’ombre. Prendre des risques. Il faudra bien y arriver.

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